"Si mon fils veut poursuivre l'activité, il devra se diversifier"
Entretien avec Gerry, du Jerry's Cigar Bar de Bruges
Les magasins de tabac spécialisés ont-ils un avenir dans notre pays? Quel regard portent-ils sur les lois anti-tabac de plus en plus strictes et la pléthore de nouvelles réglementations? Nous avons visité l'un des plus anciens magasins de tabac et de cigares du pays, le Jerry's Cigar Bar.
Historique
Le bâtiment qui abrite aujourd'hui le Jerry's Cigar Bar, au 13 Simon Stevinplein à Bruges, vend du tabac depuis plus de 230 ans. Aujourd'hui encore, on y trouve des cigares, des cigarettes et du tabac. Des marques connues aux cigares cubains et dominicains, en passant par des mélanges rares et du tabac à pipe. De plus, il est possible de déguster tout cela sur place. Du moins, à l'extérieur, car le magasin dispose de sa propre terrasse.
Dans un acte datant de 1790, un certain Jan Verselle a demandé à la guilde du tabac l'autorisation de vendre du tabac. Le bâtiment proprement dit est encore plus ancien, puisqu'il date du 16e siècle. Depuis le début du 20e siècle, il appartient à la famille Vermeulen qui en a fait un magasin de tabac.
Aujourd'hui, le magasin Jerry's Cigar Bar, est exploité par Katrien Dejonghe, fille de Cécile Vermeulen et de Jules Dejonghe, et son mari Gerry Wanneyn. Le couple a deux enfants, Laura et Frederick, et espère que Frederick pourra poursuivre les activités du magasin. Mais c'est loin d'être certain.
Cocktail ou bière en terrasse
Gerry et Katrien ont compris très tôt qu'il fallait se diversifier, surtout pour un magasin spécialisé dans le tabac. Depuis 25 ans, ils vendent non seulement des cigares, mais aussi toutes sortes de produits complémentaires (ou non): d'autres produits tabac, des produits de loterie, des accessoires pour tabac, des spiritueux, des modèles réduits de voitures de luxe, et bien d'autres choses encore.
Depuis 1999, vous pouvez également vous rendre au Jerry's Cigar Bar pour prendre un café, une bière, un bon cocktail et de quoi grignoter. Quelques tables confortables sont installées sur le trottoir et la terrasse de Gerry s'étend jusqu'à la place Simon Stevin. "Pour accueillir les fumeurs et les personnes qui veulent essayer un nouveau cigare", souligne Gerry.
Des dépenses inutiles
Gerry tient à dire quelques mots sur la politique anti-tabac actuelle et sur la direction qu'elle prend, selon lui.
"Tout devient plus cher. Les 100 euros que vous aviez sur votre compte en banque il y a 2 ans ne valent plus que 75 euros aujourd'hui", commence-t-il son argumentation. "Nos coûts ne font qu'augmenter, alors que les rendements et les marges ne font que diminuer."
"Les fabricants sont également confrontés à des coûts inutiles. Quel est l'intérêt d'introduire Track & Trace dans l'industrie du cigare? Ces produits ne connaissent pas les mêmes problèmes de contrefaçon que les cigarettes. La mesure est inutile, surtout dans le cas des longfillers. Et pourtant ces coûts inutiles sont répercutés sur les fabricants".
"Track & Trace est inutile dans l'industrie du cigare. Ces produits ne connaissent pas les mêmes problèmes de contrefaçon que les cigarettes. Le gouvernement met tout dans le même sac"
Gerry Wanneyn - Propriétaire du Jerry's Cigar Bar
"Nos longfillers sont principalement fournis par Scandinavian Tobacco Group, Vandermarliere et quelques acteurs plus petits. Il est possible que ces derniers s'effondrent. La question est de savoir s'ils peuvent supporter le coût de Track & Trace."

Une responsabilité partagée
"Autre exemple: nous sommes tenus de vérifier l'âge de toutes les personnes jusqu'à 25 ans", s'anime Gerry. "Mais on ne nous dit pas comment faire. Il faut se baser sur des estimations. Peut-on distinguer aussi facilement une personne de 26 ans d'une personne de 24 ans?
"Outre le commerçant, il faut aussi responsabiliser les jeunes eux-mêmes, qui n'ont pas encore le droit de fumer. Aucun fonctionnaire ne s'adresse à un jeune qui fume dans la rue. S'ils ont déjà le droit d'acheter une mobylette à 16 ans, ils devraient également pouvoir assumer une plus grande responsabilité en matière de tabac."
"Il est de plus en plus difficile de maintenir un magasin de tabac spécialisé indépendant. Heureusement, nous sommes situés dans un haut lieu touristique si bien que nous vivons également du tourisme. Au cours des 25 dernières années, notre clientèle a évolué en conséquence; le nombre de clients belges est en nette diminution."
"Traitez-nous équitablement!"
"L'incertitude règne également quant à la manière dont nous serons autorisés à proposer ou à présenter des cigares à partir du jour où l'interdiction d'exposition entrera en vigueur. J'attends toujours une directive claire sur ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Un rideau? Un système coulissant? Nous devrons investir, mais nous sommes loin de connaître les détails de la nouvelle loi. Pour l'instant, j'attends."
"Nous demandons à être traités équitablement. En effet, nous ne sommes pas des criminels! Que l'on vienne nous expliquer ce que nous faisons de mal et ce que nous pouvons améliorer pour rester dans la légalité."

Contrôle total
"Pourquoi avoir interdit le snus à l'époque? Mais en revanche, on peut vendre des chewing-gums à la nicotine. C'est deux poids deux mesures! La manière dont le gouvernement procède dans cette affaire n'est vraiment pas claire."
"Si le gouvernement était honnête avec lui-même, il interdirait tout simplement de fumer à partir de maintenant. Mais non, s'il peut encore en retirer quelques centimes, il joue un double jeu. J'ai l'impression que nous nous dirigeons vers une forme de contrôle total. Une sur-réglementation à outrance".
"La question est donc de savoir si mon fils a encore un avenir dans ce magasin tel qu'il existe aujourd'hui. C'est très incertain. En tout état de cause, il devra se diversifier encore plus que ma femme et moi ne le faisons déjà."


