“NOUS DEVONS NOUS ADAPTER AU COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR”
Roularta reprend des magazines feminins tels que Libelle et flair a sanoma
Roularta a repris en été 2018 les magazines féminins de Sanoma pour un montant total de 33,3 millions d’euros. Il s’agit des hebdomadaires Libelle, Femmes d'Aujourd'hui et Flair, des mensuels Feeling et Gaël, et des magazines La Maison Victor, Communiekrant, et Loving You. Le moment idéal pour Kiosk de s’entretenir avec le CEO Xavier Bouckaert à propos du rachat, des changements dans le segment presse et de la façon dont les librairies peuvent anticiper le changement de comportement du consommateur.
RACHAT DES MAGAZINES FEMININS
Le rachat a été annoncé officiellement durant l’été 2018 mais pourquoi le rachat était très important pour Roularta? Xavier Bouckaert évoque deux raisons principales: “Nous connaissons très bien le marché des magazines. Ceci est depuis toujours le métier de base de Roularta. Avec l’achat des titres féminins, nous voulons donc continuer de miser sur le marché des mensuels et des hebdomadaires. Par ailleurs, cet investissement offre des perspectives en matière de recettes et une extension de notre lectorat. Avec nos magazines, nous occupons une position très solide dans les secteurs financier et automobile, où les publicités sont surtout orientées sur les hommes. Les magazines féminins, par contre, se concentrent sur le secteur fast-consumer et la branche pharmaceutique. Les titres de Roularta et les titres que nous avons repris à Sanoma sont donc parfaitement complémentaires. Nous n’avons pas l’intention de retirer des rayons des titres ou des magazines. Avec le recul, ceci est donc un rachat très logique.”
A propos de Roularta
Roularta Media Group est un groupe multimédia belge coté en bourse qui compte plus de 1.500 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires combiné de 400 millions d’euros. L’entreprise édite notamment De Zondag, Knack, Sport/Voetbalmagazine et participe à 50% dans De Tijd et L'Echo. Récemment se sont ajoutées des revues telles que Libelle/Femmes d’Aujourd’hui et Flair.
Roularta a été fondée en 1954 par le Dr. Jur. Willy De Nolf et a débuté avec deux hebdomadaires locaux: De Roeselaarse Weekbode et Advertentie, respectivement une revue hebdomadaire payante et un journal gratuit toutes boîtes. Ceci a jeté les bases de l’entreprise média florissante qu’est Roularta aujourd’hui.
LE BESOIN DE TITRES FEMININS
“D’une part nous pouvions simplement continuer sans les revues féminines mais si d’autre part l’opportunité se présente, nous ne pouvions pas la laisser passer. Les revues nous ouvrent un tout nouveau marché publicitaire. Nous constatons de plus en plus que l’annonceur veut se concentrer sur le décideur de la maison. Alors qu’avant cela semblait être l’homme avec un côté plutôt dictatorial, cela évolue de plus en plus vers la femme. Et nous ne parlons pas seulement du fonctionnement du ménage mais également des décisions et investissements importants. Les placements, les investissements immobiliers ou l’achat d’une voiture ne sont plus les décisions unilatérales de l’homme, au contraire. Ceci et l’élargissement de notre lectorat offre de belles perspectives avec l’arrivée des titres féminins,” explique Xavier Bouckaert.
RACHETER OU LANCER
Roularta a soupesé de long en large l’éventualité de proposer ses propres magazines féminins sur le marché ou d’opter quand même pour un rachat. “Ce n’est pas simple de lancer une marque. Cela demande de très nombreuses ressources, pas seulement humaines, mais surtout financières. Vous devez attirer des annonceurs, qui sont souvent méfiants à l’égard de nouvelles marques, et vous devez miser sur un lectorat pour lequel tout un assortiment est déjà disponible en fait. Au total, cela vous coûte un temps immense et une très grosse somme d’argent. D’un point de vue coût-bénéfice, ce rachat était le meilleur pas que nous pouvions faire.”
LE PORTEFEUILLE ETAIT EN VITRINE
“Ce n’est pas un secret que le portefeuille de Sanoma était déjà en vitrine depuis quelques années. La première fois que le dossier s’est présenté, ce fut en 2015, mais nous n’y avons pas donné suite à l’époque parce qu’à ce moment-là nous finalisions la vente de nos titres français. Mais nous avons analysé en détails le dossier à l’époque et nous sommes restés en contact. Ceci a aidé à finaliser relativement vite l’opération cette année. Contrairement à la situation il y a trois ans, c’était le moment opportun de franchir le pas”, dixit Xavier Bouckaert.
ENGAGEMENTS
“Le rachat s’accompagne aussi de quelques engagements. Nous imprimons quelques titres de Sanoma qui sont distribués aux Pays-Bas. En outre, le titre Ik ga bouwen/Je vais construire a suivi le chemin inverse et a rejoint le portefeuille de Sanoma. Cette revue coïncide plus étroitement aux groupes cibles des titres de Sanoma.”
ADAPTER LE CONTENU
Roularta n’a pas l’intention de supprimer des marques mais le contenu peut bel et bien être adapté. “Les changements ne seront pas fondamentaux mais nous poserons bel et bien quelques accents propres. Nous pensons que nous pouvons encore améliorer la qualité du contenu. En mettant davantage l’accent sur ce qui préoccupe les jeunes dames. Ce n’est pas une raison pour viser toujours le sensationnel. Nous examinerons aussi comment faire en sorte que les marques se soutiennent mutuellement. Feeling, Gael et Weekend Knack ont un public cible très similaire, certains projets peuvent donc être lancés en commun. Un autre exemple est Steps, qui est envoyé avec Libelle depuis octobre. C’est un public cible similaire et pourtant un magazine complémentaire. Dans cette optique, on retrouve de belles synergies dans le portefeuille.”
EN PREPARATION
Xavier Bouckaert n’ose pas encore trop anticiper l’avenir et examine opportunité par opportunité. “Si vous m’aviez dit il y a deux ans que nous allions vendre Medialaan et participer dans Mediafin et reprendre en outre les titres féminins de Sanoma, je vous aurais traité de fou. J’ai donc appris à ne pas trop m’en préoccuper. Le secteur évolue beaucoup, il est donc probable que des changements interviendront encore mais ce que cela impliquera précisément, je ne peux et n’ose pas encore le prédire.”

AUCUNE CONSEQUENCE POUR LA LIBRAIRIE
“En soi, peu ou rien ne changera pour la librairie. Nous constatons bel et bien que la vente au numéro des revues féminines est un canal de vente important, si pas le plus important. Nous voulons certainement conserver la vente au numéro mais par contre, nous voulons aussi diversifier en augmentant le nombre d’abonnements. Indépendamment des recettes fixes, une formule d’abonnement est un bon outil pour se rapprocher du lecteur et donc travailler de façon plus ciblée. La faiblesse de la vente au numéro est que l’acheteur reste anonyme. Il serait particulièrement intéressant de disposer d’un outil permettant de connaître le lecteur qui se cache derrière la vente au numéro mais je crains que ce ne soit pas vite le cas.”
PAS DE CONTENU GRATUIT
Du reste, Roularta veut fortement réduire le nombre d’articles gratuits qui sont disponibles sur toutes les plate-formes en ligne. Ce qui peut avoir des conséquences directes sur la vente des magazines. “Par le passé, de nombreux éditeurs ont commis l’erreur de proposer tous les bons contenus gratuitement en ligne. De plus en plus d’éditeurs font marche arrière. La bonne information détaillée disparaît derrière un mur payant, ce qui est aussi logique. Il est probable que d’ici deux ans environ 70% du contenu en ligne seront payants. Il y a dix ans, les éditeurs voyaient l’internet comme une vitrine complémentaire pour leur marque mais on ne s’est pas rendu compte que le lecteur pouvait ainsi consommer aussi vite tous les articles disponibles en ligne. Le fait que chacun y met un frein est en soi une bonne chose pour la librairie. Le consommateur devra payer partout pour les articles qu’il veut lire. Aussi bien le magazine chez le libraire que l’article en ligne. Nous espérons que le lecteur redécouvre de cette manière le charme d’un magazine, ce qui pourrait faire progresser nos titres physiques. Naturellement, nous ne pouvons pas prédire l’avenir dans une boule de cristal. Le comportement du lecteur a changé, c’est une évolution que nous, éditeurs, ne pouvons pas empêcher”, estime Xavier Bouckaert.
REDUCTIONS SUR ABONNEMENT

Les réductions ou incentives sur abonnement ne se comptent plus. Outre le contenu en ligne qui sera de plus en plus payant, Xavier Bouckaert voit ici aussi un revirement. “Toutes nos marques ont suivi ici une politique sensée. Comme des revues telles que Knack, Trends et De Tijd sont quand même perçues comme une presse de qualité, nous n’avons pas suivi cette voie. Mais dans bien des cas, nous avons vu que le lecteur prenait un abonnement pour pouvoir recevoir un réfrigérateur, une tablette ou un smartphone, au lieu de prendre l’abonnement par intérêt pour la revue. Comme la vente au numéro a fortement baissé au début des années 2010, les éditeurs ont misé sur les abonnements. Par analogie avec l’activité en ligne, ce fut ici aussi une course contre la montre: conclure des abonnements le plus vite possible, et autant que possible. En définitive, on s’est rendu compte que ces abonnés ne restent pas. Lorsqu’ils voient une offre intéressante chez une revue concurrente, ils font tout simplement la transition. Je pense que de nombreux consommateurs ont pu aménager leur maison avec leurs incentives”, blague Xavier Bouckaert.
L’ABONNEMENT ET LA VENTE AU NUMERO NE SONT PAS CONCURRENTS
Les abonnements n’exerceraient pas une influence directe sur la vente au numéro des magazines d’après Xavier Bouckaert. “J’estime que c’est une erreur de considérer les abonnements comme un concurrent de la vente au numéro. Ce sont deux angles d’attaque complètement différents. Les personnes qui désirent se lier plus longtemps à une revue prennent un abonnement. Les personnes qui ne veulent pas forcément recevoir chaque édition se rendent dans une librairie. Une librairie doit donc profiter davantage des achats impulsifs, tandis que les abonnements se concentrent sur une relation de longue durée avec un lecteur fidèle.”
BAISSE DU NOMBRE DE LIBRAIRIES
Xavier Bouckaert regrette amèrement la baisse du nombre de librairies. D’autre part Xavier Bouckaert entrevoit quand même le besoin d’un ancrage local, en dépit de la globalisation. “Je pense qu’une librairie peut endosser le rôle de point d’ancrage local. Elle doit adapter son offre, tout comme nous et beaucoup d’autres devons réagir aux besoins du client. Je vois que certaines librairies se transforment avec succès en magasins dont le positionnement est plus large que les trois grands piliers. Beaucoup dépend de l’emplacement du magasin mais je pense que chaque emplacement offre des perspectives, à sa manière. Parfois, il faut prendre des risques, autrement il est difficile de garder la tête hors de l’eau.”
LE COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR CHANGE
“Nous devons tous nous adapter au comportement du consommateur qui change. Nous ne le voyons pas seulement dans notre secteur, tous les secteurs y sont confrontés: retail, secteur bancaire, télécoms et ainsi de suite. Nous devons donc réfléchir aux possibilités de nous y adapter et d’offrir une certaine valeur ajoutée.”